Ile de Chios, avril 1822. 45000 ottomans débarquent avec la ferme intention de faire passer à l’île ses envies de rallier les indépendantistes grecs. Pour la Sublime Porte, il s’agit de montrer l’exemple sur un caillou qui flotte à quelques brasses de ses côtes. Sur ce petit trait d’union entre orient et occident (+ proche d’Izmir que d’Athènes), beaucoup de monde a déjà planté sa tente : perses, macédoniens, byzantins, génois et ottomans… L’île est fatiguée, jaunie, aplatie, comme l’herbe d’un camping en fin de saison. Pourtant, depuis quelques années, les insulaires sont portés par les récentes actualités. En Amérique et en France – où l’herbe semble plus verte – les faubourgs brandissent des drapeaux aux couleurs nouvelles. Leur souverain n’est plus singulier et divin, il est pluriel et il a la grosse banane.
Un sultan insulté.
Ces révolutions sont contagieuses, les grecs de la terre ferme (Péloponnèse, Thessalonique…) ont aussi des envies de Printemps. Et comme y’a plus de saisons, les insurgés victorieux proclament leur indépendance le 1er janvier 1822. On imagine les affranchis filant droit vers Mykonos, Samos ou Chios pour présenter leur souveraineté nouvelle aux insulaires, tels des vendeurs de Tupperware non commissionnés. Forcément, la Sublime Porte de Mahmoud II sort de ses gonds. Agacé, échaudé, le sultan fait débarquer l’armée sur l’île de Chios, île du chaos… 20 000 morts au compteur sans évoquer les autres douceurs de ce type d’évènement. Comme un refrain de l’Histoire, la maison-mère envoie les sabres lorsque la filiale s’oublie. Ainsi l’Angleterre face aux US de Thomas Jefferson, ainsi la France face au Burkina de Thomas Sankara (moins thaumaturge que le premier).
Les romantiques à la rescousse des grecs antiques.
En Europe, aux US, les anciens porteurs de drapeaux à la banane s’émeuvent de la situation. Au-delà du massacre, c’est le berceau de la démocratie que l’on brûle. Les romantiques s’engagent avec Byron notamment qui ira se faire tuer aux côtés des révoltés. Moins téméraire, plus publicitaire, Delacroix trouve-là un sujet idéal pour faire le buzz au Salon de 1824. Sur sa toile, les marbres antiques se dessèchent comme des pruneaux au soleil. Les chairs désolées traîne l’horizontal d’un temple en ruine et le mont Olympe prend des allures de camp de réfugiés… Les Scènes de Scio sensibilisent les parisiens. Partout, les opinions publiques grondent face aux exactions aveugles de Mahmoud II qui s’obstine.
La bataille de Navarin, sauvetage incontrôlé.
Les états-nations-nourrissons de l’époque – qui répugnent à bouleverser l’ordre établi – envoient une escadre pour détendre le sultan. Il ne s’agit pas de punir ses méfaits, sinon de concilier leur opinion publique. La real politik n’a jamais fait dans le kleenex. Malheureusement pour les ronds de cuir nouvellement élus, l’escadre européenne passe à l’attaque lors de la bataille de Navarin. Qui a déclenché l’assaut ? Mystère. Un mystère qui va envoyer la flotte du sultan compter les poissons. L’amiral anglais commandant la flotte était-il un proche parent de Byron ou un être très sensible à la touche colorée de Delacroix ? Nul ne sait. Toujours est-il qu’après Navarin, la mer Egée redevient calme. Comme une mer d’huile, une huile d’olive ou une huile sur toile. Comme on voudra.
Louvre-Ravioli
Scène des massacres de Scio ; familles grecques attendant la mort ou l’esclavage
Eugène Delacroix (1824)
Droits photo : © R.M.N./H. Lewandowski
Trop cool !