Au Louvre, les antiquités égyptiennes occupent une sacrée place. Écriture, agriculture, croyances, bijoux, transport : tous les thèmes de la vie sont ici, la mort y compris. La grande inconnue de l’after show a suscité pas mal d’interrogations et de créations. Le Louvre en expose de toutes les tailles : de la plus petite amulette qui tient dans le creux d’une main à un mastaba capable d’avaler le visiteur tout entier.
Une salle présente également des séries de sarcophages alignés comme des poupées russes. Ils s’emboitaient pour protéger le corps des défunts. Un peu plus loin, dans un coin, une vitrine présente l’un d’entre eux. Une ultime poupée russe, chétive, mystérieuse. Il ne s’agit pas d’une petite babouchka avec un fichu noué sur la tête, mais d’un jeune égyptien tout recouvert de lin.
Bandes à part.
Les égyptologues hésitent sur son nom : il s’appellerait Pachéry ou bien Nenou. Pour se rassurer, appelons-le Panou. Les pieds rangés dans une boîte, Panou attend pudiquement l’éternité les bras croisés. Les bandelettes de lin sur son visage lui offrent cette inexpression universelle, labyrinthique. On dirait l’un des amants de Magritte. Son large collier ousekh lui recouvre la poitrine. Cet éventail fleuri est étiré par deux têtes de faucons. L’animal – capable de planer des lustres face au soleil – relie les mondes terrestre et céleste.
Plus bas, un tablier présente la momie allongée de Panou entourée d’Isis, Nephthys et des fils d’Horus, protecteurs des momies. Les visages sont verts comme la sève régénérante du Printemps. Au-dessus d’eux, des paires d’ailes déployées et un scarabée évoquent la renaissance du défunt. Ce coléoptère – aussi appelé bousier – roule en boule les excréments de mammifères jusqu’à un trou pour y pondre ses œufs. Pour les Égyptiens, sa progéniture née de la boule nourricière rappelle la naissance du soleil tous les matins à l’horizon. La poésie de cette fangeuse parabole rappelle le lotus qui fleurit courageusement au milieu des marais.
Le masque funéraire de Panou – exposé aux côtés de la momie – reprend les traits d’un visage idéalisé. Une assez pâle figure finalement, comparée au labyrinthe de lin qui aspire tous les regards. Certains accessoires de la vitrine nous montrent avec quoi étaient extraits les organes de Panou avant d’être placés dans des vases canopes. Les contenants sacrés disposés au pied de la vitrine sont coiffés par une tête des fils d’Horus. Les génies s’organisent par organe : Amset, à tête humaine, garde le foie – Douamoutef, à tête de chacal, l’estomac – Hapy, à tête de babouin, les poumons – Qebehsenouf, à tête de faucon, les intestins.
Une farce très sérieuse
Chez les Égyptiens, l’homme est constitué de 3 éléments : le Ba – l’âme mobile, l’Akh – l’esprit lumineux et le Ka – la force vitale. Pour s’animer après le trépas, cette triplette doit se retrouver dans un corps préservé. Différentes catégories de momifications sont alors proposées. Les pompes funèbres de l’époque déroulent déjà un marketing bien ficelé (avec du lin, beaucoup de lin). La majorité des familles peu fortunées offrent l’entrée de gamme à leur défunt : lavage du corps, déshydratation rapide des tissus et quelques amulettes en terre cuite glissées sous l’aisselle. Plus chanceux, Panou s’est offert une momification luxueuse digne d’une recette de prêtre étoilé.
On pourrait reformuler la recette de la momie du Louvre en ces termes : « Grattez le cerveau du défunt par les fosses nasales à l’aide d’un crochet de fer chauffé à blanc. Touillez la boîte crânienne jusqu’à obtenir une bouillie de cerveau à extraire par l’orifice pratiqué. Versez un peu de soude pour nettoyer les restes puis, à l’aide d’un cuilleron nasal, coulez de la résine de conifères complétée de cire d’abeille. Pour le corps : fendre le flanc avec une pierre aiguisée pour extraire tous les organes. Lavez l’abdomen avec du vin de palmier, farcir de myrrhe concassée et de cannelle. Attention… Ne pas oublier de remettre le cœur – siège de la pensée – dans l’abdomen farci. Poumon, estomac, foie et intestins seront servis à part. »
« Badigeonnez ensuite le corps d’une couche de bicarbonate de soude pour éliminer l’eau des tissus. Placez le corps au soleil en plein désert, à chaleur peu tournante. Enfournez 70 jours environ puis lavez le corps avant de le recouvrir d’huiles et résines. Ouvrir à nouveau. Remplir la cage thoracique à l’aide de tampons de lin imprégnés de résine, de sciure de bois et d’aromates. Pensez à bien recoudre avant de poser des bandelettes en lin. Démarrez par les extrémités pour remonter vers la racine des membres. Ne pas hésiter à repasser sept fois. Glissez des amulettes entre les bandelettes. Enroulez le tout d’un suaire et le placer dans un sarcophage. Scellez la tombe puis laissez reposer pour l’éternité. C’est prêt. »
Mythe d’Osiris, morceaux choisis.
Les origines de cette recette – autrement plus virevoltante que l’histoire de la Tarte Tatin – sont évoquées dans le mythe d’Osiris, premier souverain d’Égypte, bienveillant et apprécié de son peuple. Son mythe démarre lorsque son jaloux de frère décide de le tuer et de le jeter dans le delta du Nil. Délicate histoire. Les péripéties du corps d’Osiris décomposé, recomposé, découpé, rassemblé, ressuscité vont inspirer le rituel de momification. Suivant les époques et les sources, le mythe osirien varie beaucoup et finit par s’éparpiller, comme le corps du souverain. À chacun de choisir ses morceaux.
Dans son malheur, Osiris a une sacrée épouse : Isis. Accompagnée de sa soeur Nephthys, elle part à la recherche du corps de son mari. En découvrant le cadavre en décomposition, les soeurs forment une digue pour le préserver avant de le cacher parmi les bambous du delta. Manque de chance, Seth va croiser le corps de son frère hainé. Encore tout boursouflé de rancoeur, il découpe Osiris en quatorze morceaux éparpillés à travers les eaux d’Égypte. Rebelote pour Isis et Nephthys. Transformées en oiseaux, elles survolent l’Egypte en quête des fragments surnageants. Elles retrouveront un-à-un les morceaux d’un corps reconstitué puis momifié par Anubis – dieu de l’embaumement. La fin du mythe ne se refuse rien : Isis s’accouple avec le puzzle revivifié d’Osiris pour donner naissance à Horus, une progéniture à tête de faucon qui part affronter Seth, l’oncle faisandé. Suite à un long et âpre combat, Horus vainc et achève la renaissance de son père Osiris qui règne alors sur l’au-delà. Fin de l’histoire.
Fin de l’histoire pour Osiris mais début de l’histoire pour Panou qui aborde la mort avec ce mythe pimenté à l’esprit. Morbide et crue, la narration est aussi pleine de vie. Tout comme la végétation, Osiris se décompose pour renaître. Son corps putréfié répand ses fluides pour fertiliser les eaux du Nil qui feront fleurir les champs. Ses humeurs permettent aussi à Isis d’enfanter Horus, symbole de continuité. Les défunts comme Panou veulent devenir ce puzzle revivifié capable de s’offrir un nouveau point de départ. Comme Osiris, il ne sera pas question de renaître parmi les vivants, sinon dans l’au-delà. Le défunt n’existera plus à titre d’individu mais va intégrer un cycle éternel, comme composante de l’univers. Tout un programme. Étrangement, on repense au labyrinthe sur le visage de la momie, à cette inexpression universelle capable d’attirer tous les regards…
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** Sources : La notice du Louvre // “Rites funéraires de l’Égypte ancienne” (Florence Maruejol) // “Les deux morts d’Osiris, d’après les textes des Pyramides.” par Nadine Guilhou (Tiré de la revue Égypte, N°10, août 1998). Pour l’énoncé du mythe osirien, j’ai choisi la variante d’un scénario de cet article (à lire !).// Un grand merci à Richard Lejeune pour sa relecture bienveillante. Découvrez son site EgyptoMusée (Richard est prof d’histoire à la retraite et spécialiste en Egyptologie.) / Les images sont l’oeuvre des photographes de Wipplay
*** À lire aussi sur Louvre Ravioli “MAGIE ROSE” sur d’autres croyances égyptiennes.
J’apprécie vraiment beaucoup votre présentation de la momie du Louvre et du mythe osirien, Louvre-Ravioli : c’est rigoureux sur le fond et complètement décalé sur la forme.
À ce “Panou” – que voilà déjà un toponyme à double sens -, vous avez confectionné un nouveau collier avec vos précieuses perles d’écriture :
Votre “recette” de momification est un monument !
Votre “frère hainé”, un néologisme époustouflant.
Une “inexpression” universelle, une grandiose vérité.
Les “amants de Magritte”, une comparaison hors du commun.
Le “prêtre étoilé”, succulent.
Bref, j’admire votre talent : je serais totalement incapable d’écrire l’égyptologie de cette manière …
Bravo.
Un million de mercis Richard.
J’ai comme l’impression que vous êtes mon oxygène le + précieux dans cette aventure.
Excellentissime ! Historiquement réjouissant et plaisamment cultivant ! J’adore ! La recette de momie est d’une pure saveur.
Oui vraiment, c’est un plaisir de revisiter l’histoire de l’art de cette façon! On aimerait que cela soit même plus souvent!
Merci bcp bcp L’AVION ROSE & BAUDOUIN !!!
Pingback: HAUT ? ET UN ? BON ! - Louvre-Ravioli
Culture vous avez dit culture ? Mais qu’elle est réjouissante !
Merci !