La statue de la République est inaugurée en 1883. Depuis les hauts-de-forme de la IIIe République jusqu’aux semelles compensées de la Gay Pride, elle en a vu défiler du monde : profs fatigués, réfugiés perdus, médecins étouffés, citoyens indignés. Toute une foule contestataire venue d’un bouquet de boulevards ralliant l’esplanade : Saint-Martin, Magenta, Temple, Voltaire…
En juin 2013, la place de la République était rénovée avec des nouveaux carreaux, bien larges pour rouler en skate ou à vélo… Malheureusement pour les badauds badins, la France ne file pas comme sur des roulettes. Entre les kalachnikovs de 2015, le pourcentage qui détient les richesses du monde et les ressources qui s’épuisent… la colère monte. Happée depuis toujours par les foules indignées, la statue ressemble à ces bouts de falaises façonnés par la mer.
La République : tout un programme.
Cette République est l’œuvre des frères Morice : Léopold a réalisé la statue, Charles s’est affairé au piédestal. On imagine les sculpteurs ouvrant le dictionnaire en famille pour défricher leur sujet : « République (n.f) : forme d’organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l’exercent en vertu d’un mandat conféré par le corps social. En ce sens « république » s’oppose à « monarchie », mais ne se confond pas avec « démocratie », dans l’hypothèse, par exemple, d’une restriction du suffrage… » (1) Effectivement, la République n’est pas la Démocratie. Sinon les manifs se feraient Place de la Démocratie et nous descendrions à Démo et non à Répu.
Tournée vers le centre de Paris, La République est colossale. Même descendue de son piédestal, elle mesure 9 mètres 50 (le bras levé). Les frères Morice ont ressorti une déesse du placard antique, référence à la République romaine établie suite à la monarchie. Elle ressemble à l’actrice d’un péplum hollywoodien : drapée dans une toge sérieuse, cette Marianne-là n’est pas dépoitraillée. Gardienne de la tablette des « Droits de l’Homme », sa silhouette tutélaire détient l’épée du pouvoir. Coiffée à la fois du bonnet phrygien et d’une couronne de lauriers, elle agrippe un rameau d’olivier en signe de paix. À ses pieds, on a posé une urne géante : l’entrée « du mandat conféré par le corps social », la voix sacrée des gouvernants. L’urne est protégée par un lion sévère et protéiné. On imagine que cette voie-là ne se discute pas.
Le piédestal fait 15 mètres de haut. Serti de blasons de la ville de Paris, le cylindre massif assied trois allégories devisant face au vent : la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. La Liberté – orientée vers le boulevard Voltaire – a brisé ses chaînes et brandit une torche pour présenter fièrement ses lumières. L’Égalité – tournée vers le boulevard saint Martin – est agrippée à son équerre et au drapeau de la République. La Fraternité quant à elle, se tourne vers le faubourg du Temple. Bienveillante et laborieuse, elle surveille deux enfants en pleine lecture. La République lui tourne le dos. À l’étage inférieur, des bas-reliefs déroulent les morceaux choisis de l’imagerie républicaine. Ce roman-photo expose notamment la proclamation de l’abolition de la royauté et la proclamation de la IIIe République. Entre ces dates, la République avance, délaissant le suffrage censitaire pour un suffrage plus universel.
Toute représentation gardée
La statue est commandée par le conseil de Paris en 1879. À l’époque, la république monarchique du président Mac-Mahon manque de peu un retour à la royauté. La « République des républicains » qui lui succède, doit asseoir son régime. Des statues glorifiant la république poussent partout dans les villes. On explore le catalogue de symboles initié 100 ans plus tôt par les néoclassiques révolutionnaires, chargés de remplacer l’iconographie fleurdelisée. Une foule d’allégories antiques se présentent alors en accessoires : rameaux, équerre, torche, bonnet, lance, corne d’abondance… Un florilège de symboles capable de nourrir l’inconscient républicain de la foule. À la fin du XIXe siècle, la République est abondamment glorifiée, tel Louis XIV, Bokassa ou Turkmenbachi.
Pour répondre à la commande du Conseil de Paris, deux statues sont short-listées. En lice avec les frères Morice, Jules Dalou présente une République sur un char tiré par deux lions. Pour le préfet de la Seine – chargé de surveiller les choix de la capitale communarde – la République de Dalou est trop agitée. Son travail est remisé Place de la Nation. Face au programme des Morice tout juste sélectionné, le Conseil de Paris réclame l’ajout d’un détail : sa République devra être coiffée d’un bonnet phrygien. La préfecture s’accommode mal de cette requête au vieux remugle de sans-culotte. Est-ce que la Liberty de New-York a un bonnet ? Of course not. Sa divine couronne lumineuse ne s’embarrasse pas d’un crasseux tissu phrygien. Mais qu’importe, Paris insiste et sa République portera bien un bonnet de nuits agitées, coquetterie de séditieuse qui sait la route encore longue.
La IIIe République a pourtant franchi de belles marches : légalisation des syndicats, liberté de la presse, liberté de réunion publique, retour du droit au divorce. Aussi, depuis 1882, les enfants de 6 à 13 ans sont obligés d’aller à l’école. Pourtant, malgré ces avancées, le tableau reste noir par endroits. Nombreux sont les petits français à travailler des heures durant, preuve que certains décrets d’application n’ont pas l’épaisseur de Germinal. Preuve aussi du soin apporté aux marges de certains patrons qui siègent à l’assemblée. À l’étranger, les valeurs républicaines voyagent plus mal encore. La France autoritaire étend son empire colonial. Lorsque le président Grévy sort les ciseaux pour inaugurer la statue en 1883, l’exécutif de Ferry défouraille l’épée de la République un peu partout : Tunisie, Maroc, Cochinchine. Fer, phosphate, caoutchouc… Elle a bon dos la République. Et son rameau d’olivier ? C’est pour faire quoi ? Peut-être des cure-dents pour les rouflaquettes de l’assemblée.
2016 : tout est statué ?
Deux républiques plus tard, les choses ont encore bougé. La liste des droits s’est allongée : les gamins ne vont plus à la mine, les protections sociales se sont étoffées, les patrons ont quitté l’assemblée. Aussi, l’usage du droit de grève offre aux français de peaufiner leur réputation de gueulards. Chaque année, place de la République, les cornes de supporters et les casseroles dénoncent des lois peu harmonieuses. En 2015, l’esplanade connaissait une affluence record et un silence de mort. Les kalachnikovs ont transpercé les libertés fondamentales : boire des bières, dessiner, écouter du rock. Réchauffée par la foule, la statue s’est transformée en mausolée. À la lueur des bougies, ses bas-reliefs officiels sont caviardés par un discours plus spontané : « J’être Charlie », « J’être humain ». Partout, des peluches, des poèmes aux disparus, des déclarations d’amour à l’humanité. Elle a l’air moins sévère cette République. Le lion ressemble presque à une mascotte d’équipe de football américain.
Cet élan républicain laisse pourtant des images moins chaleureuses. Le 11 janvier 2015, Ali Bongo défilait avec nos élus pour défendre la liberté d’expression (2). L’image brûle les yeux, comme un gaz lacrymo. Ces relents françafricains ne sont pas seuls pour nous tirer des larmes. Depuis Ferry, des rouflaquettes nouvelle génération ont toujours voix à l’assemblée. Elles ne siègent plus sur les bancs de velours mais ont le pouvoir de couper des micros et de passer des coups de fil. Silence dans l’hémicycle. Le 15 décembre 2015, l’exécutif se démenait pour rejeter un amendement favorable à la transparence fiscale des entreprises (3). Il y a des marges que l’on continue de soigner, quitte à écorcher la République de Platon exigeant la sophia pour ses gouvernants et la tempérance pour ses commerçants. En mars 2016 les Panamas papers révèlent leur scoop : l’évasion fiscale est une réalité. Ça y est, on a trouvé la Lune. Les gouvernants s’indignent comme des acteurs au rabais, fronçant des sourcils peu crédibles…
La République se serait-elle figée ? Les plus désabusés verront dans la statue une idole de bronze face à la foule aveuglée, quémandant sans cesse égalité matérielle et libertés individuelles à des délégués englués dans les chantages de commerçants. Si la posture ne manque pas de piment, pas sûr qu’elle offre un bel élan. D’où viendra alors le prochain mouvement ? Revoyons la Fraternité – ce sentiment d’être frères – planquée derrière la République. Cette troisième roue du carrosse républicain est une originale : elle est la seule à dépasser les égos, la seule à incarner un lien entre citoyens. Ce même lien qui a permis de réchauffer les cœurs après les attentats. N’aurait-il pas d’autres vertus capables de pousser ailleurs que dans la peur ? Des vertus participatives, engagées, désintéressées. Un combo capable d’offrir de nouvelles pratiques, une démocratie directe n’émanant plus seulement des (si peu) représentants du peuple. L’agora « Nuit Debout » organisée au pied de la statue ne désire pas autre chose. Mais surtout, que la République se rassure. Il ne s’agit pas d’un coup de couteau dans le dos. Plutôt d’une pique sur les fesses, avec un petit cure-dents en bois d’olivier. Histoire de continuer à avancer.
Louvre Ravioli
* Notes & références : (1) Définition du Larousse / (2) Selon Reporter Sans Frontière et son classement mondial de la liberté de la Presse, le Gabon est 98e. La France 38ème, pas de quoi la ramener. / (3) Note de l’OXFAM (observatoire salutaire) / Retrouver toutes les images sur Wipplay.com
** En bonus : Les évènements de 1883 en France, ça donne une autre idée de la République / Un article sur Platon – La République – livre IV / Un docu : « Afrique[s] une autre histoire du 20ème siècle » / Un autre article de Louvre-Ravioli sur les avancées sociales délicates de la France : LA LIBERTE CONVOQUE LE BLANC ET L’ARRIÈRE-BLANC.
*** Si vous aimez l’article, vous pouvez le partager. Ce serait rudement chic. Pour discuter & réagir, n’hésitez pas à écrire en bas de page ou sur ma page FaceBook.
Certes pas “fleurdelisée”, votre intervention, Louvre-Ravioli, nonobstant très fleurie grâce à ce style inimitable qui, semblerait-il, ne fait ici réagir que votre serviteur …
Mais s’il n’en reste qu’un, fût-il votre cousin d’Outre-Quiévrain, je serai celui-là !
1000 mercis “cousin” Richard !
Vos réactions font du bien.
Y aurait-il un moyen d’établir d’une façon certaine l’identité des personnages du haut-relief qui représente la proclamation de la République le 21 septembre 1792? C’est que la motion de l’abolition de la royauté a été faite par Collot d’Herbois pourtant aucun des personnages représentés ne le ressemble pas clairement. Pourtant on reconnaît clairement Marat et certains autres, donc il ne s’agit pas d’images abstraites mais des portraits de personnages réels. Faut-il penser qu’on a voulu “effacer” Collot d’Herbois de l’histoire officielle de la République?
Je suis bien incapable de vous répondre. Mais si – comme vous le dites – l’Histoire officielle n’a pas effacé Marat de la statue (alors qu’il passe pour l’un des + énervés de la “bande”), pourquoi vouloir effacer Collot d’Herbois ? Si vous avez une réponse un jour, je suis preneur.